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Nathalie Provost




Nathalie Provost était en dernière année de génie mécanique lorsqu’elle fut blessée lors de la tragédie qui a eu lieu à Polytechnique Montréal ce 6 décembre 1989. Elle est aujourd’hui ingénieure de l’ordre, fonctionnaire, directrice générale au ministère de l’Environnement du Québec et porte-parole de PolySeSouvient, organisation militant pour le contrôle des armes à feu. Nathalie est également l’heureuse maman de 4 enfants. À l’approche de la commémoration annuelle du 6 décembre, Nathalie se confie à Polyelles.

 

Ce qui lui a donné envie d’être ingénieure ?

« C’est une drôle d’histoire parce que je ne connaissais pas le génie ».

Nathalie n’est pas issue d’une famille d’universitaires. Son père enseignait le français quand il a décidé de suivre des cours du soir à l’université afin d’obtenir son baccalauréat.


C’est pendant ses études au CEGEG qu’elle a entendu parler de Polytechnique, à travers une série télévisée dans laquelle un des protagonistes fréquentait l’établissement. Au même moment, dans la vie réelle, des manifestations en génie à Polytechnique revendiquant un prêt auprès du gouvernement, pour un achat groupé d’ordinateurs, faisaient la une des journaux québécois. « J’ai trouvé cela exaltant et intéressant ». Attirée de surcroît par les sciences pures, Nathalie a donc naturellement choisi d’intégrer Polytechnique après le CEGEP. 


Son implication à Polytechnique ?

À Polytechnique, Nathalie s’est fortement impliquée dans les associations étudiantes. C’était important pour elle, qui venait d’une famille politisée, cela correspondait à « l’esprit de sa vie ». Nathalie a ainsi été, entre autres, représentante étudiante au CA de Polytechnique et présidente de la CoFIQ (Coalition des facultés d’Ingénierie du Québec), l’organisation qui s’était occupé du projet d’achat regroupé d’ordinateurs et du prêt gouvernemental en son temps.


Comment a-t-elle surmonté ce 6 décembre ?

« J’ai fini mon BAC comme si de rien n’était, même si ce n’était pas vrai. En fait dans la vie on ne sait pas trop mais il y a comme une énergie un peu bizarre qui nous habite. »


Pour Nathalie, finir son baccalauréat a été une façon de continuer, et d’avancer dans la vie. Elle a finalement obtenu son diplôme en mai 1990 et a commencé à travailler.


Cependant, sa santé mentale était gravement affectée et fragilisée, la rendant vulnérable. Il lui a fallu cinq ans pour se rétablir, et de manière surprenante, c'est l'obtention de sa maîtrise qui a marqué le début de sa guérison. Son engagement profond au cours de ses études, a créé une dynamique dans laquelle l’école, plus qu’un simple lieu d’apprentissage, est devenue une véritable famille, une maison. Au contraire, il lui aura fallu beaucoup de temps pour prendre ses distances avec Polytechnique et quitter cette sécurité familière.


Son ressenti sur les inégalités hommes-femmes à l’heure actuelle ?

Concernant les inégalités hommes-femmes et notamment sur le plan professionnel, Nathalie ne les ressent plus réellement. En effet, à 57 ans, elle est passée par toutes les étapes importantes de la vie, que ce soit par rapport à son éducation, sa carrière et même sa vie de famille. Sa capacité à aller de l’avant et saisir des opportunités n’est plus différente de celle du sexe opposé. Cette réalisation est cependant à nuancer dans la mesure où, étant fonctionnaire, elle a été privilégiée à certains égards. En effet, ce milieu est, selon elle, davantage propice à l’équilibre travail-famille.


A-t-elle ressenti un déséquilibre au début de sa carrière ?

« Mon début de carrière n’a pas été banal ».


Fragilisée par le massacre du 6 décembre, Nathalie a commencé sa carrière dans un piteux état. Ce début était d’autant plus difficile qu’en 1989, la compréhension des enjeux de santé mentale n’était pas la même qu’aujourd’hui. Si l’acceptation de ces défis s’est fortement améliorée ces dernières années, Nathalie et ses consœurs ont malheureusement évolué dans un environnement complètement différent.


Par ailleurs, la situation à sa sortie de Polytechnique allait à l’encontre de ce qu’on connait aujourd’hui. Le Canada faisait alors face à une pénurie de travail contrairement au manque de main d’œuvre qui existe actuellement. Cela rendait la recherche de travail d’autant plus difficile que les employeurs ne voulaient pas embaucher Nathalie, en raison de son vécu qui, pour les employeurs, la rendait plus faible, plus fragile. Malgré un CV intéressant et une forte implication étudiante, ce drame l’a longtemps poursuivie.


Finalement, avec l’aide d’un professeur de Polytechnique, Nathalie a réussi à obtenir un contrat à temps partiel à l’Institut de recherche en biotechnologies. Elle s’est ensuite inscrite à la maîtrise en génie industriel, en management des technologies, qu’elle a fini à temps partiel avant de trouver un petit contrat avec une entreprise dans laquelle elle restera 12 ans.


De quel accompagnement a-t-elle bénéficié ?

Certes un accompagnement a été fourni par certains professeurs de Polytechnique mais personne ne savait comment réagir face à un tel drame. De plus, dans le monde ingénieur de l’époque, parler de santé mentale n’était pas dans les mœurs. Bénéficier d’un accompagnement et d’une aide psychologique est un phénomène relativement récent. « Le Québec a subi un choc majeur et avait du mal à l’admettre. On partait de loin » dit-elle.


Un conseil pour les jeunes femmes ?

« La pression de la performance est affolante chez les femmes. Faut être belle, faut être bonne, faut être mince, faut être sportive, faut être en santé, faut être souriante, faut avoir une carrière, c’est complètement débile ».


Prenant l’exemple de ses 4 congés maternités, Nathalie évoque un pas en arrière pour 4 pas en avant. Bien qu’elle ait dû faire l’impasse sur certaines promotions et opportunités, elle a eu une vie épanouie ainsi qu’une famille extraordinaire. Elle a réussi à conjuguer cela à sa personnalité ainsi qu’à ses blessures. À certains moments nous confie-t-elle, il faut accepter qu’on ne puisse pas faire plus, accepter que faire le mieux n’est pas nécessairement faire le top tout le temps.

En prenant l’exemple des boursières de la rose blanche, elle met en avant le magnifique cadeau qu’on leur fait, mais en même temps, le fardeau qui les incombe. En effet non seulement une performance exemplaire est attendue d’elles mais en plus, elles portent sur leurs épaules, les rêves de toutes celles qui sont mortes. Mais qu’en est-il de celles qui restent, qui sont là et qui n’ont pas l’impression d’être assez ? « Que celles qui s’en viennent sachent qu’elles sont assez ».


Un dernier mot pour la route ?

Lorsqu’une porte se ferme, une fenêtre s’ouvre. Pour elle, les évènements de Polytechnique ont été une grosse porte fermée, mais quand elle regarde sa vie, ce sont milles fenêtres qui se sont ouvertes.


« Je ne souhaite à personne qu’une porte se ferme comme ça mais devant une porte qui se ferme, il faut apprendre à ouvrir les yeux pour trouver les fenêtres. Des fois on ne les trouve pas tout de suite, puis on ne comprend pas pourquoi la porte est fermée, on a l’impression que c’est une injustice, que ça n’a aucun sens […] Il faut aussi accepter de dire merci à la vie même pour les mauvais coups ».


Nathalie Provost, étudiante, blessée, survivante, ingénieure, fonctionnaire, maman, femme, tant de qualificatifs pour une seule personne. Celle qui a auparavant déclaré « on n’est pas féministes nous » a survécu, vit une vie merveilleuse aujourd’hui et nous montre que l’on finit toujours par arriver au bon endroit après tout.

 

Héloïse THU PING ONE

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